Par Anton WAGNER le lundi, 20 avril 2009
[...] je viens de terminer un livre remarquable.
C’est un ouvrage superbement écrit ; son commencement, d’une tonalité toute proustienne qui vous convainc, si cela était à faire, que, décidément oui, les plus beaux paradis sont toujours ceux que l’on a perdus, vous donne immédiatement le ton de l’ouvrage. Vous saisissez d’emblée qu’il ne sera pas question de long développements arides et fastidieux, mais d’agréables évocations qui ne cèderont rien de leur clarté ni de leur implacabilité.
Ce livre est construit comme une succession de courtes leçons de chose, comme il y en avait autrefois, qui montrent comment l’auteur fait classe, qui font comprendre pourquoi il fait ainsi et pourquoi il faut qu’il soit fait ainsi. De nombreux et courts chapitres, dont certains filent parfois un même thème, évoquent les difficultés, les exigences, mais aussi les beautés du métier d’instituteur. On pourrait craindre qu’une organisation aussi morcelée nuise à la compréhension, il n’en est rien. Au contraire même, chaque chapitre est une leçon : celle que le maître fait à ses élèves, celle qu’il fait au lecteur. L’auteur écrit quelque part qu’expliquer est son métier ; à la lecture de son livre, ne doutons pas de sa capacité à le faire. Voilà ce que c’est que d’être vraiment un instituteur, un instituteur qui apprend à lire et à écrire, à compter et à conjuguer, à rédiger et à raisonner.
Point besoin de longues charges contre le pédagogisme moderne ; l’exemple parle de lui-même. Ces chapitres sont comme des petites paraboles, mais dont l’auteur donne toute de même la clef en commentant rapidement le désastre des méthodes modernes d’enseignement. Ce détour est magnifique car, en même temps qu’il donne à comprendre, il montre toute la bienveillance que l’auteur a pour ses élèves, cette forme d’amour que tout professeur doit avoir pour ses élèves, et qui est un amour très difficile.
Difficile car il ne masque rien des exigences qu’il faut avoir. Oui, enseigner, c’est faire travailler. L’auteur le répète assez. Oui, enseigner, c’est transmettre un savoir, une culture. Il le dit encore et encore. Oui, enseigner, c’est noter. Il le dit aussi avec force. Oui, enseigner, c’est imposer rigueur et discipline. Cela, également, il le clame sans cesser. Imposer une difficulté à l’élève, mais une difficulté adaptée et, bien entendue, guidée, c’est le respecter, c’est faire le pari de son intelligence et de sa capacité à la surmonter. Ce n’est pas le traumatiser, contrairement à ce que certains veulent faire croire ; l’école n’est pas, ne peut pas être, un centre aéré. C’est un lieu d’effort et de travail, mais les élèves l’apprécient, lorsque cela et bien fait, car ils sentent confusément le bénéfice de ce qui parle à leur intelligence.
Aussi, la bienveillance du professeur ne doit-elle jamais perdre de vue son but ultime, l’intérêt de l’élève. Pour cela, il faut accepter de n’être pas toujours agréable, c’est aussi une rigueur pour soi-même, une rigueur que l’auteur confesse ne pas toujours respecter. Comme je le comprends, je connais la même réalité.
Cette bienveillance de l’instituteur pénétré de l’importance de sa mission, qui transpire à travers chaque phrase, chaque mot, chaque lettre, rend ce livre très émouvant. Elle participe de sa beauté, et cette beauté participe de sa clarté. C’est une sensation assez extraordinaire ! Le livre lui-même, finalement, est une magistrale leçon : la maîtrise de la langue est la maîtrise du raisonnement. Si l’on n’apprend pas à lire et à écrire comme il se doit, alors on hérite d’une pensée infirme, à l’inverse… regardez ce livre !
Ce livre, qui a la beauté de l’évidence, il serait impossible d’en parler. Il faut l’avoir lu. Lisez-le donc : Marc Le Bris, Bonheur d’école, Jean-Claude Gawsewitch.